AccueilAccueil  
  • RechercherRechercher  
  • S'enregistrerS'enregistrer  
  • ConnexionConnexion  
  • epsilon est un forum de libre-service de code pour tous les niveaux et sans inscription. Les codes contiennent des explications pour les installer. Il y a également quelques tutoriels disponibles.
    © e p s i l o n - 2018-2023
    Buy Me a Coffee at ko-fi.com
    Dark And Cold
    Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
    Le Deal du moment :
    Pokémon EV06 : où acheter le Bundle Lot ...
    Voir le deal

    Lucien Bonaparte
    Lucien Bonaparte
     Plus Lucien prenait ses marques dans sa nouvelle résidence, et plus il se rendait compte de tout ce qui lui restait à faire pour avoir un environnement décent – selon ses critères, qui certes n’étaient pas ceux de tout le monde. Il avait à peu près tout le nécessaire ; restait donc le superflu, qui n’en était pas moins indispensable. Ainsi, le piano. Quel intérêt d’en avoir un, quand on ne savait pas en jouer ? Oui, mais quel salon digne de ce nom pouvait s’en passer ? Certes, la plupart du temps il restait ignoré dans son coin ; reste qu’un homme qui n’en avait pas était vite jugé. D’ailleurs, Lucien pouvait se dire qu’il avait été économe ; ce n’était qu’un quart de queue – le plus grand qu’il pût avoir sans empiéter sur le territoire de son bureau. Et que l’on n’aille surtout pas lui dire que la vraie économie eût été d’attendre de pouvoir acheter cet instrument sur ses fonds propres, au lieu de se le faire livrer à crédit... Quant à l’accordeur, n’en parlons pas ; il avait dû se contenter de la bonne foi de son client  qui lui promettait de le payer au prochain accord. Sur celui-là, au moins, le nom magique de Bonaparte avait fait son effet, et pour cause : c’était Spontini, un peu déçu certes de n’avoir à faire qu’à Lucien, mais qui avait toujours des étoiles dans les yeux dès qu’il s’agissait d’évoquer sa brève carrière de compositeur officiel de l’empire.

    Bref, le piano était là. Diamétralement opposé au bureau, comme pour bien distinguer travail et divertissement. Le reste du cadre n’en était pas encore tout à fait digne, mais chaque chose en son temps ; avant de remplacer le tapis qui, dans une autre vie, semblait avoir passé un peu trop de temps devant une cheminée, Lucien avait résolu de faire faire une meilleure reproduction du Sommeil de Vénus, dont une copie passable était accrochée au-dessus de son bureau : l’artiste à qui il l’avait commandée avait un excellent coup de pinceau, il ne disait pas le contraire, mais il semblait être à Pandore depuis si longtemps qu’il en avait oublié à quoi ressemblait une femme. Et puis un jour ou l’autre, il lui faudrait revendre au moins la moitié de ses meubles, et les remplacer par d’autres qui fussent plus en accord avec le style directoire vers lequel il tendait... Ce serait aussi l’occasion de changer de rideaux, d’en faire mettre de plus épais et dont le vert n’était pas aussi fade... Et tout déplacer, tout changer quand viendrait le moment de s’installer dans un logis plus grand, plus à sa mesure... En somme, Lucien n’était pas encore sorti de l’auberge, loin de là, et ce n’était encore que le salon. Mais chaque chose en son temps.

    Ce piano était donc un bon début. Restait à le faire vivre. Lucien ne comptait pas sur lui-même pour cela ; il avait vu jouer tant d’artistes magnifiques, à commencer par sa chère Alexandrine, qu’il refusait de se ridiculiser en essayant à son tour de se lancer dans quoi que ce fût – quand bien même il n’y avait personne pour entendre le désastre. Bien sûr, ce n’était pas là la manière d’apprendre, mais il pouvait faire mieux que jouer lui-même : il pouvait faire jouer les autres.

    Par qui commencer ? Là était toute la question, d’autant plus délicate que Lucien connaissait au moins de vue un certain nombre des musiciens de Pandore. Il eût été juste de confier le soin de cette inauguration à Spontini ; après avoir passé plusieurs heures à retendre chaque corde de ce piano, ne l’avait-il pas mérité ? Assurément, mais malgré tout le respect que Lucien avait pour le compositeur sans qui Jouy n’aurait pas eu sa Vestale, il en était un autre qu’il lui tardait encore plus d’entendre : Chopin, qu’il avait à peu près ignoré du temps où ils étaient tous deux vivants, qu’il avait rencontré depuis, et entendu se plaindre d’un manque de piano ; dès lors, pourquoi ne pas être agréable à ce Polonais ? Au moins pour le symbole : n’était-ce pas une façon d’expier les vaines promesses que Napoléon avait fait à ce peuple fier et enchaîné, promesses qu’ils avaient payé d’un dévouement sans borne et sans retour ? Plus prosaïquement, et aussi plus égoïstement, Lucien craignait en invitant Spontini de ne rien entendre qu’il n’eût entendu toute sa vie ; Chopin, lui, le ferait entrer dans une nouvelle ère. Et puis, pour essayer de sauver un peu les formes, il avait décidé que Spontini, quand il l’inviterait enfin, aurait un public ; Chopin, en revanche, ne jouerait que pour le maître des lieux.

    Ayant envoyé son invitation avec un délai raisonnable d’une semaine, Lucien s’attendait à le voir arriver d’une minute à l’autre. Certes, il avait entrevu la personnalité fantasque de l’artiste, et aurait pu se dire qu’il ne viendrait qu’à son heure, et sans doute pas à dix-neuf heures précises comme l’avait proposé le prince ; mais cela ne coûtait rien de tout préparer à temps. Et puis à présent qu’il n’avait plus de domestiques pour tout faire à sa place, et qu’il devait s’occuper lui-même de chaque détail, Lucien avait d’autant plus de temps pour s’assurer que tout était en état pour accueillir Chopin – à commencer par lui-même : une fois de plus, il avait rangé sa veste en cuir pour remettre son habit noir, ses bottes à l’anglaise et sa cravate anachronique. Comme au bon vieux temps... Après deux tournées d’inspection, ne voyant rien à améliorer de son côté, il commençait à sentir l’impatience se gagner ; mais c’est le prix à payer pour le génie, se disait-il à chaque fois qu’il se surprenait à soupirer. Au reste, il ne regardait même plus la pendule, et cela pour ne pas risquer de commencer d’un mauvais pied en reprochant, même indirectement, son retard au compositeur.

    Enfin, le timbre électronique d’une sonnerie – le genre de bruit auquel il était convaincu qu’il ne s’habituerait jamais – lui apprit que c’en était fini d’attendre. Plutôt que de se bagarrer avec l’interphone, il descendit lui-même dans le vestibule : c’était plus chaleureux, et cela ne coûtait pas plus cher. C’était bien le Polonais qui s’y trouvait, reconnaissable entre mille à sa chevelure vert pomme.

    Bonsoir, mon cher Chopin ! lança Lucien en venant à sa rencontre, la main tendue et le visage éclairé d’un grand sourire. Quel plaisir de vous revoir... Entrez, je vous prie, il ne manquait plus que vous !
    Fryderyk F. Szopen
    Fryderyk F. Szopen
    Récital nocturne { w/ Chopin } ZKxmvho

    RÉCITAL NOCTURNE.
       
       
       


    Pandore pouvait présenter de nombreux avantages en offrant une vie nouvelle à ses habitants. Une chance égale, un lieu qui n'était que peu secoué par de véritables conflits, peu de discrimination... Que demandait donc le peuple ? Pas grand chose en réalité, mais il subsistait un irréductible ronchon, une terreur à la chevelure verte qui semblait avoir hérité du stéréotype du français râleur. Digne représentant de ce sport trop peu pratiqué en ville, il était donc plus ou moins tombé dedans quand il était petit et avait repris les habitudes qui le caractérisaient de son vivant. Absolument rien ne lui convenait, et la pauvre choupette se plaisait à prétendre qu'il déclinait les invitations parce qu'elles n'étaient pas dignes de l'incroyable standing que lui conférait sa profession d'intérimaire alors qu'il n'avait simplement jamais été friands des soirées mondaines. À l'exception des fins de mois compliquées où ces rassemblements lui permettaient de se nourrir et boire à l’œil, évidemment.

    Ce fut probablement lors de l'une de ces tentatives désespérées de dévaliser un plateau de bouchées apéritives qu'il était tombé nez à nez avec une personne qui lui était familière et, si l'envie de fusiller du regard celui qui venait de se saisir du dernier feuilleté à la tomate s'était emparée de lui l'espace de quelques secondes, il s'était vaillamment repris  sur l'instant au point de se tenir soudainement droit comme à la bonne époque. Il n'était pas question de jouer les drama queen devant un Bonaparte, mais il ne comptait pas non plus lui cirer les pompes. Il allait recevoir le respect que le Polonais lui devait, et Lucien était chanceux, il n'en manquait pas à son égard. Il n'avait pas non plus oublié comment se comporter en la présence d'invités de marque.

    Alors qu'il inspectait l'enveloppe entre ses doigts parfaitement manucurés, le pianiste ne pouvait s'empêcher de ressentir une certaine nervosité. Sa mémoire de la fin de soirée était trouble même s'il se souvenait être bel et bien revenu à lui dans son propre lit le lendemain. Il avait tout d'abord voulu laisser traîner la missive quelques jours histoire de se faire désirer, mais son appartement minuscule s'était révélé être le pire ennemi de cette tactique qu'il aimait pourtant utiliser si souvent. Peu importait l'angle, son regard se fixait sur la lettre scellée en se demandant autant ce qu'elle refermait que la façon dont il avait terminé cette sortie fortement arrosée en champagne. Il ne fallut qu'une misérable heure et demie pour qu'il cède à la curiosité et découvre finalement quelque chose de plutôt prévisible. Non pas parce que Lucien l'était, mais principalement parce que Chopin était assez prétentieux que pour se considérer comme incontournable lorsqu'il s'agissait d'user de ses doigts pour satisfaire les pauvres pianos délaissés. Ou peut-être parce qu'il ne cessait de radoter à tout va qu'il ne pouvait plus jouer assez régulièrement à son goût. S'il était évident qu'il était impossible de faire entrer un piano dans son minuscule appartement -et donc qu'il était inutile de sacrifier des achats de vêtements afin d'économiser dans le but de se l'offrir, le compositeur était d'une mauvaise foi difficilement quantifiable puisqu'il s'était mis la plupart de ses confrères à dos en leur disant sans le moindre filtre ce qu'il pensait de leurs œuvres. Cela ne l'empêchait pas de trouver des mécènes susceptibles de lui confier leur cher instrument de temps à autres.

    Le principal problème qu'il rencontra le Jour J releva de l'ordre de l'imprévu lui-même. C'était l'inconvénient de l'intérim, et il ne s'imaginait pas refuser catégoriquement un remplacement parce qu'il voulait avoir le temps de se faire beau. C'était ridicule. Le second fut qu'une fois en train de nettoyer les couloirs de l'hôpital -non sans être allé au préalable faire enrager son médecin préféré sous prétexte qu'il voulait prendre des nouvelles d'un ami- il se rendit compte qu'il allait falloir retirer ses faux ongles s'il voulait étaler son génie devant le Bonaparte. Une séance de doigts trempés dans du dissolvant pendant une conversation skype avec Zola et une douche plus tard, il fit l'effort impressionnant de mettre un costume. Les jupes et les robes, c'était très bien, mais il avait toujours porté ce genre d'accoutrement lors des concerts qu'il avait donné, particulièrement ceux qui se déroulaient dans un cadre privé. C'est en regardant sa montre qu'il songea qu'il n'était peut être pas spécialement raisonnable d'écouter son meilleur ami parler d'écologie et de devenir vegan pour la deuxième fois ce mois-ci pendant une demi-heure. Il ne restait plus qu'à passer un coup de peigne et marcher jusque là. Il n'avait pas les moyens de se payer un taxi après tout.

    Un nouveau défi survint ensuite : De quelle façon contacter celui qui l'invitait ? Ce faux problème se retrouva résolu en une pression de doigt, lorsque le compositeur réalisa que Lucien n'avait plus le moindre personnel à sa disposition. Cela lui retirait une sacré épine du pied au vu de sa capacité incroyable à se mettre à dos de sinistres inconnus sans classe, ou en tout cas, selon lui.

    Bonsoir monsieur Bonaparte, glissa-t-il avec le sourire charmeur classique et passe-partout des musiciens habitués à se fondre dans les soirées les plus fastueuses alors qu'il accueillait chaleureusement cette main tendue. Il réprima néanmoins l'envie de souligner qu'il comprenait tout à fait combien sa seule présence pouvait suffire à peupler la maison de son hôte alors qu'il entrait tranquillement dans la pièce. Veuillez m'excuser pour mon retard, ce sont les aléas des changements d'horaire à la dernière minute. Ils sont pires que ceux que m'auraient offert la vie d'artiste. N'est-ce pas ironique ?

    Alors qu'habituellement Fryderyk aurait pris un malin plaisir de faire une entrée en trombe tout en choisissant une pièce au hasard, en espérant qu'il s'agisse bel et bien de celle dans laquelle se trouverait la piano, il fit l'effort surhumain de tenir en place. Un bien grand mot puisqu'il semblait tout de même trépigner d'impatience maintenant qu'il se trouvait face à un aperçu de la décoration de l'endroit. Son attention s'accrochait aux différents objets, manifestant malgré lui une certaine nostalgie. Il était à même de reconnaître la plupart des choses qui se retrouvaient dans son champs de vision, et mieux encore, il aurait probablement pu dire avec exactitude dans quels salons il avait eu la chance de jouer devant de telles œuvres d'art. L'endroit par contre était parfaitement silencieux. Pas le moindre murmure, pas le moindre craquement de meuble.

    Je suis honoré que vous ayez fait appel à moi. Attendons nous d'autres personnes ou refusiez-vous de me partager avec qui que ce soit d'autre ? Ne vous en faites pas. Je peux parfaitement concevoir votre déception de ne jamais m'avoir rencontré. Mes confrères manquaient cruellement de créativité. Un rire espiègle suivi, accompagné d'un sourire qui démontrait combien il se jetait sérieusement des fleurs sans le moindre remords pour ceux qu'il traînait gratuitement dans la boue depuis des siècles.

    CODE DE PHOENIX O'CONNELL POUR NEVER UTOPIA

    Lucien Bonaparte
    Lucien Bonaparte
     Un instant, Lucien se demanda quelle heure il était vraiment, pour que Chopin lui-même s’excusât de son retard. Mais quand bien même le prince eût connu le chiffre exact, l’esprit du pianiste excusait tout. Lucien n’était pas bien sûr de savoir quel métier celui-ci exerçait à présent, mais n’importe, sa nouvelle vie ne paraissait pas plus réglée que l’ancienne passait pour l’être, et c’était tout ce qu’il y avait à retenir. Quel changement par rapport à tous ces artistes de cour, travaillant à heures fixes et à qui on commandait une symphonie comme on eût commandé un rapport à un auditeur du Conseil d’Etat...

    Soyez tranquille, monsieur, vous n’avez pas affaire à un ancien militaire et ce n’est certes pas moi qui irai vous chercher querelle pour des questions de rigueur.

    D’ailleurs, même si l’exactitude avait été plus ancrée dans son caractère, Lucien n’en aurait pas davantage engagé la controverse avec Chopin ; c’eût été risquer de se fâcher avec un homme exceptionnel pour quelque chose qui n’en valait vraiment pas la peine.

    Dans sa hâte d’aller accueillir son invité, Lucien était descendu en laissant la porte de son appartement grande ouverte ; aussi, quand on n’avait plus de valet de chambre pour la refermer derrière soi ! Mais aucun individu malhonnête n’avait profité de cet oubli – au demeurant très bref. Tout était toujours à sa place, à commencer par le piano. Décidément, comme le salon paraissait petit, avec ce nouvel occupant ! Pas question, donc, de songer à rajouter un canapé, sauf à vouloir saturer le décor et ne plus pouvoir poser le pied nulle part. De toute manière, pour l’heure, entre les trois fauteuils et le tabouret du piano, il y aurait largement de quoi asseoir tout le monde.

    Un moment de silence s’écoula, durant lequel Chopin regardait autour de lui et Lucien guettait furtivement sa réaction. Il vit l’œil vif du Polonais s’arrêter sur une vue de Portsmouth, paysage anglais parfaitement innocent, même pour Lucien à qui il rappelait pourtant des souvenirs de captivité ; sur l’horloge du buffet, d'inspiration antique et dont le socle en marbre s’accordait avec le dessus du meuble ; sur le guéridon, fort belle pièce avec ses pieds de fer forgé et son plateau d’acajou, rendu plus intéressant encore par l’assortiment d’amuse-bouche que le maître des lieux avait eu soin d'y disposer – ils sortaient tout droit des fourneaux d’un traiteur voisin, digne substitut de Carême, tant pour la qualité que pour les tarifs... Son examen terminé, le maestro rompit le silence en demandant si d’autres hôtes étaient attendus. Bien sûr, il ne posa pas la question aussi simplement ; et contrairement à ce que Lucien avait pu craindre un moment, il paraissait même assez flatté de ne voir personne d’autre.

    Oui, ce soir vous serez seul à jouer et je serai seul à vous entendre, reprit-il avec un sourire qui valait bien celui du musicien, sans relever la pique dirigée contre ses confrères – il eût sans doute été plus honnête de dire « ses rivaux ». Lucien avait beau être à peu près du même avis, il ne voulait pas être surpris en train de médire d’autres artistes. Comme vous le voyez, on ne peut pas avoir trop de monde ici sans finir par se marcher sur les pieds. Et puis j’ai toujours préféré la qualité à la quantité.

    Certes, cela aussi aurait pu être pris pour une critique des autres musiciens... mais, parlant en tant que spectateur et mécène, Lucien visait plutôt son frère aîné, celui qui croyait que sa cour surchargée d’or était véritablement la plus brillante d’Europe ; et contre celui-là, toutes les médisances étaient permises.

    Au reste, vous êtes ici chez vous. Souhaitez-vous prendre quelque chose avant de commencer ? Tout est à votre disposition, ajouta-t-il en désignant le guéridon.

    Il ne manquait que l’alcool... Mais le proverbe était in vino veritas, et non in vino ars : tout Polonais qu’il fût, le pianiste n’allait donc pas s’offusquer de l’absence d’un élément qui n’aurait fait que troubler sa concentration.
    Contenu sponsorisé
    epsilon
    créateur de code depuis 2018