On dit de lui qu’il est • Sage ϟ Cassant ϟ Injuste ϟ Méticuleux ϟ Très poli ϟ Violent (mais qu’il sait garder son calme) ϟ Atrocement rancunier ϟ Tyrannique ϟ Maniaque ϟ Intelligent ϟ Pingre (mais qu’il sait faire preuve, occasionnellement, d'une grande générosité) ϟ Sûr de lui ϟ Protecteur ϟ il est aussi dit qu’il a des yeux partout.


Mais au premier abord • Ruvik est un homme à la stature impressionnante. Il n’est pas quelqu’un qu’il ne surplombe, il dépasse largement les deux mètres et ne craint pas de perdre l’équilibre, en appui sur ses pieds immenses. Son regard argenté acéré comme une lame de rasoir donne l’impression de lire aux tréfonds de l’âme de quiconque croiserait sa route. On ne peut lui cacher quoi que ce soit ni même le surprendre par-derrière. Rien ne lui échappe. Serait-ce dû à sa vision plus poussée que la normale ? C’est comme s’il voyait absolument tout. Ses sourires sont aussi froids que son tempérament placide. Bien que polis, la rangée de dents petites et aiguisées que dévoilent ses lèvres charnues a le dont de provoquer quelques frissons glacés purement instinctifs. Les interlocuteurs de Ruvik ne devraient pas oublier qu’ils sont en présence d’un prédateur. Un prédateur bien charismatique vêtu avec élégance et bons goûts. Ses longs cheveux d’un blanc métallique ne sont pas sans rappeler l’éclat de ses écailles d’antan. Parfaitement peignés et d’une longueur spectaculaire, ils épousent les courbes de son corps avec autant de légèreté que le ferait un drap découpé dans une étoffe des plus précieuses. Ils forment sur le devant une frange qui arrive approximativement au niveau de ses yeux, encadrent son visage aux traits fins, sévères et anguleux tout en atténuant par contraste la pâleur de sa peau, lui redonnant quelques couleurs.

Physiquement, Ruvik inspire la méfiance au même titre qu’il fascine.
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Voilà un cinquième de siècle qu’il avait rejoint Pandore.

Qu’est-ce qu’une vingtaine d’années comparée à une éternité passée à semer la terreur ? Vingt ans, cela faisait vingt ans que le monstrueux dragon aux multiples têtes avait revêtu pour son plus grand déplaisir une apparence semblable à celle de ces humains qu’il avait pris plaisir à effrayer et à dévorer tout au long de sa vie.

Zmeï était aussi vieux que l’univers, présent depuis son commencement, il avait régné en maître sur le monde. Son apogée impitoyable avait été celle de la destruction et aurait perduré si n’était pas apparu Svarog, divinité à l’origine de la création du soleil, celle-là même qui avait engendré les autres dieux. Leur combat avait été un bain de sang, un torrent de flammes, jusqu’à ce que le dieu du feu vienne à bout de sa ténacité. Humilié, fou de rage, le grand dragon destructeur se vit réduit à la condition d’un simple outil et contraint d’aider Svarog dans la création des trois mondes et de leurs frontières ; Jav, la terre des vivants, Nav, le royaume des morts ainsi que le lieu de résidence des divins, territoire immatériel, et Prav le domaine du céleste depuis lequel étaient régis Jav et Nav. Le travail achevé, le père de tous les dieux envoya Zmeï au cœur du royaume des morts, l’en nommant roi, détenteur de tout droit et de tout pouvoir sur celui-ci.

Ainsi promu, le dragon n’en fut pas pour autant apaisé. Il éprouvait le besoin d’investir le monde des hommes afin d’y apporter le chaos. Il en massacrait les habitants faits de chair et de sang, leur enlevait leurs plus belles et plus précieuses princesses, tournait en ridicule leurs braves chevaliers qui se croyaient capables de le tuer avec une simple épée alors qu’ils tenaient à peine sur leurs deux jambes. Si ces quelques insolents parvenaient en de rares occasions à le vaincre, leur victoire n’était que temporaire, Zmeï s’en retournait dans la demeure des dieux dont les portes lui étaient ouvertes, récupérait de ses blessures et revenait plus en colère que jamais. Il ne connaissait pas la mort.

Dans sa cruauté sans limites, il était néanmoins le détenteur d’une âme généreuse qu’expliquait probablement le sentiment de suprématie décuplé qu’il ressentait face à l’adoration de ces créatures inférieures appelées humains qu’il tenait dans le creux de la patte. Le dragon avait découvert qu’alliée à la peur, une once de bonté lui offrait une emprise plus profonde, plus vaste encore sur les hommes qui y voyaient une raison supplémentaire de se soumettre. Tandis qu’il protégeait leurs récoltes et leur permettait de fructifier, tandis qu’il guidait les pêcheurs égarés, perdus dans la tempête, il pouvait sans crainte se permettre de piller fermes et châteaux, d’emporter femmes et pucelles aux tréfonds de son antre de laquelle jamais elles ne revenaient, qu’elles soient faites prisonnières, destinées à porter sa progéniture, ou dévorées vivantes. Au fil des siècles, il avait accumulé de nombreuses richesses desquelles il s’entourait jalousement. On disait de part et d’autre du continent qu’aucun roi ne possédait une quantité d’or telle que celle dont regorgeait sa grotte.

Personne dans le monde de Jav n’avait le pouvoir de défaire Zmeï.

C’était vrai, du moins jusqu’à ce qu’apparaisse un jeune homme du nom de Dobrynia Nikititch, droit, il avait un sens de la justice qui n’admettait pas d’être remis en doute et que beaucoup avaient perdu depuis longtemps. Lors de leur première rencontre, le dragon parvint à l’attendrir, faisant appel à sa pitié, et le chevalier lui laissa la vie sauve. Un geste qu’il regretta lorsqu’il eut vent des méfaits de la bête qui avait enlevé la nièce du Prince Vladimir de Kiev. Il se jura d’en finir avec le monstre, de mettre un terme à cette série de massacres. Il pénétra dans sa caverne et, après avoir évincé par centaines ses enfants qui en protégeaient l’entrée, il lui fit face. Le combat dura trois jours et trois nuits. Ils s’affrontèrent sans merci, le vieux sage aux connaissances aussi anciennes que la terre et le ciel contre la jeunesse intrépide et arrogante.

La logique aurait voulu qu’il gagne une fois de plus.

Zmeï fut cependant terrassé et ses possessions lui furent arrachées, de même que ses charmantes otages libérées. Il avait perdu jusqu’à sa descendance, anéantie toute entière par l’épée de ce maudit Dobrynia !

Son histoire s’acheva, sa nouvelle vie commença.

Une vie dans laquelle il n’avait plus ni ailes, ni griffes, ni crocs, ni écailles. Une vie qui continuait de lui voler tout ce qu’il avait, excepté son intelligence et sa taille. Il était réduit à poursuivre son existence matérielle en tant qu’être humain, le découvrir ne l’avait pas grandement réjoui. Ses têtes lui manquaient, sa queue épineuse lui manquait, sa vision détrônant de loin celle d’un aigle lui manquait, son souffle de feu qui rayait des villages entiers de la carte lui manquait…

Au début, il avait eu du mal à s’habituer à sa nouvelle apparence. Aujourd’hui encore, s’il s’en accommodait, il la détestait viscéralement. En vingt ans, il avait eu le temps de grimper les échelons, de se créer une place dans la société de Pandore. En tant qu’huissier de justice, il lui arrivait d’être sans pitié. Les années ne l’avaient pas départi de sa cruauté et sa réputation le précédait. Il continuait de concéder une importance capitale à l’image froide et redoutable qu’il renvoyait en public et de protéger ses biens de manière obsessionnelle, idem pour ce à quoi il tenait. Il se plaçait au-dessus de l’homme moyen, distingué, d’une politesse qui frisait l’ironie quand on avait vent d’ô combien il savait être violent et autoritaire derrière son calme apparent.

Il n’avait pas changé tant que ça. Il s’était adapté.

Dans un monde comme dans l’autre, il ne laisserait plus personne le renverser du trône qu’il se construisait. Il ne commettrait plus les mêmes erreurs.