Kraken, c’est avant tout un personnage à lui tout seul. — On lui aurait dit par avance que la Terreur des mers, le Monstre des fonds marins, Lui, dont la seule évocation de son nom faisait frémir d’angoisse le plus témèraire de tout les pirates, finirait, au bout du compte, sous l’enveloppe charnelle d’un gamin prépubère qui peine à atteindre le mètre soixante, il se serait gaussé. Oh oui, il se serait gaussé, très, très fort même. Dans l’genre à rire jusqu’à avoir mal au bide. Sauf que la blague avait assez durée et que ça ne l’amusait plus du tout ! Alors chaque soir, il prie le Saint Esprit, le père, le fils et tout la famille s’il le faut, pour espérer, qu’au matin, tout ceci n’ai été que le fruit de son imagination un peu trop débordante. Tristesse. Désespoir. En vain.

Un jour, un grand philosophe a dit :
« La vie c’est de la merde. »
Et ce philosophe avait foutrement raison.

Parce qu’en plus de sa taille ridiculement petite, on l’a affublé d’une voix horriblement féminine qui le décrédibilise à tel point, que la première fois qu’il l’a entendu, des larmes ont coulé sur ses joues - bon, p’têtre pas à ce point, mais vous voyez où je veux en venir.

Sauf qu’il n’était pas au bout de ses peines, ce foutu corps étant, en plus de ça, d’une fragilité extrême, rendant sa stature frêle et fine à l’image d’un enfant, loin des beaux gosses musclés des magazines de Vogue - et cette constatation faisait un peu mal au cœur quand même.

Il s’est dit c’est le karma, j’suis foutu, ça peut pas être pire... jusqu’à ce qu’il remarque ENFIN qu’il ne possédait, à présent, que deux jambes et deux bras. Ouais, que deux. Pas huit.

J’vous dit pas l’angoisse.
Le pauvre il était tout perdu.

Après des décennies, il a finit par s’y habituer - moyennement, faut pas déconner - mais tout ceci le rends horriblement maladroit et on a pour habitude de souligner le fait qu’il ait deux pieds gauches, ce à quoi, il répond généralement et le plus poliment du monde, d’aller se faire foutre avant de pointer tout haut son majeur.

Parce oui, faut pas abuser.
Il est bien gentil, mais si tu oses te foutre de sa gueule ou pire - PIRE, VOUS DIS-JE - lui mettre sous le nez ses INNOMBRABLES - et incalculables - complexes, il balance tout aux orties et il devient brutalement vulgaire.

Sauf qu’au comble de son malheur, le moindre de ses agissements paraît mignon. Je dirais même Mignon avec un grand M comme Monstre, tiens, ou Masturbation, c'est pareils, au point où on en est. Parce que Kraken, au fond, on ne le qualifie que comme ça ; un putain de poulpe dans le corps d’un gosse avec écrit, au feutre noir indélébile, sur le font : kawaii.

Quelle horreur.

Or, Kraken, ce n’est pas que ça.
C’est PIRE que ça.

S’il a eu la chance de pouvoir conserver son aptitude à rester sous l’eau indéfiniment et à balancer des tourbillons ridicules pour faire genre, il est aussi dit que les pieuvres sont naturellement dotées d’une très grande intelligence et ça, bah, c’est pas passé non plus dans le Pack Kraken 2.0 ... - c'est pas faute de le rechercher activement sur Play Store, mais c'est un peu comme chercher le respect dans cette fiche : c'est laborieux.

On ne va pas dire qu’il est idiot - si - mais il est horriblement naïf et il part facilement au quart de tour. De plus, son côté simplet et enfantin, le renvoie à passer pour un abruti congénitale en plus d’être une victime.

Non, parce que c’est une victime, faut pas se voiler la face.

Abruti, parce qu’au bout de la dixième fois, faudrait qu’il comprenne que le grand bassin à la piscine municipale, c’est pas encore de son niveau, même le pédiluve on a des doutes - c’est pour dire - et que, non, il ne dévorera pas toute la descendance de Barbe Bleu et que, oui, il faudrait qu’un jour il connecte ses deux neurones pour comprendre que Dracula se fout de sa tronche depuis l'an 40.

Après, faut pas lui en vouloir, il est gentil mais il passe pour une petite teigne dont les menaces de morts et de vengeances destructrices et ravageuses ont autant d’effet qu’un chaton qui sort les griffes face à une armée de lions - m’voyez cette belle comparaison pas piquée des hannetons.

Ajoutons à cela un manque cruel de charisme, une tête de mule croisée à un esprit buté, un grand angoissé qui camoufle son stress par des réactions plus incongrues les unes que les autres, un gros problème d'attention et de concentration, un zeste de franchise et une grosse dose de sensibilité et - hop - vous avez grossièrement un petit Kraken dans toute sa splendeur.

Alors, ouais, non.
Kraken c’est une putain de blague à lui tout seul et si ça ne le fait plus rire depuis le temps, nous, on se marre bien !

Below the thunders of the upper deep,
Far far beneath in the abysmal sea,
His ancient, dreamless, uninvaded sleep
The Kraken sleepeth: faintest sunlights flee
About his shadowy sides: above him swell
Huge sponges of millennial growth and height;
And far away into the sickly light,
From many a wondrous grot and secret cell
Unnumbered and enormous polypi
Winnow with giant fins the slumbering green.
There hath he lain for ages and will lie
Battening upon huge seaworms in his sleep,
Until the latter fire shall heat the deep;
Then once by men and angels to be seen,
In roaring he shall rise and on the surface die.

Ah, la belle époque.
Celle où il était craint de tous et où on comptait ses histoires par de-là les flots.
Si ça c’était pas la classe. On en a même fait une légende, si ça c’est pas beau ! Parce que OUI, le Kraken existait, bien sûr qu’il existait, vous avez jamais vu Pirates des Caraïbes ? C’était pas des images se synthèses, non, non mon bon monsieur ! Et sans doublure, à ça oui. Il a même une putain de prêtresse dans League Of Legends, alors vous voilez pas la face : il était bien vivant.
Mais avant d’être un de ces grands de ce monde - c’est pas peu dire - il en a fait du chemin !

Il est né dans l’eau.
Bah, ouais, ça semble logique.
Mais il sait pas trop où il est né, il sait jusqu’il savait qu’il se trouvait dans l’eau.
Après il a bouffé comme un gros tas et il est devenu l’effrayante créature que vous connaissez tous.

Parce que tout le monde connaissait le Kraken !

Sauf que lui, il connaissait personne.
Ah. C’est triste.

Limité à la bouffe et au pieu ; la vie rêvée.

Tout ce qu’il savait, c’est que tout le monde le craignait : suffisait d’entendre les cris d’agonies et de peurs de certains humains pour capich’ qu’il était une réelle menace parmi les Hommes. Alors lui, ça le faisait marrer - ‘fin au possible compte tenu que c’était un putain de poulpe - alors il foutait plein de tourbillons dans la tronche des navires quand il se faisait chier et, quand il avait trop la dalle, il y allait franco et foutait ses tentacules un peu partout et le tour était joué.

Après on sait pas trop comment il est mort, il dormait à ce moment là - gg bro - mais paraît-il avant la fin de sa vie il aurait joué dans certains hentaï et aurait auditionné pour un film à succès.

Puis bam, il est arrivé à Pandore, il sait pas trop pourquoi ni comment.
Et ce fut la débandade, comme on dit par chez-nous.

On va pas vous cacher que les premiers jours furent affreux, j’crois qu’il a jamais autant pleuré dans sa vie - il en a pas vraiment eu l’occasion on va dire - et tout ces trucs d’humains avait quelque chose d’effrayant, rien que respirer convenablement il galérait sa vie, alors marcher, j’vous dit même pas. Le pire fut quand il fit la connaissance de l’autre pirate de mes deux, parce qu’il en a vu des pirates - l’odeur, ué ué, c’est le rhum qui permet l’identification m’voyez - mais alors LUI.

Puis bien sûr, comme si c’était pas déjà la bonne grosse merde, il a fallut qu’il tombe amoureux d’un putain de vampire, ouais, au calme. Et qu’en plus ils forniquent ensemble. Ouais, un poulpe et une chauve-souris, sans pression. Relation inter-espèce, aucun jugement.

Puis là c’est la panique avec les compositeurs et les paysans chelou grave ploucs qui captent même pas la wifi, mais Kraken a déjà trop de problèmes dans sa vie de petit Kraken pour s’en soucier un temps soi peu.

Alors il mène sa vie de galérien et puis voilà.